Saison Dublin - Episode 1 : Une victoire pour le climat aux Pays-Bas
Une
victoire pour le climat aux Pays-Bas, une organisation non gouvernementale
soumet le gouvernement néerlandais à respecter ses engagements environnementaux
Par Firas AIDI [1]
Article du 15 décembre 2020.
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L’affaire est sans précèdent.
Pour être précis, dans sa genèse, l’affaire n’a rien d’exceptionnel, cependant
c’est le verdict qui est tout à fait extraordinaire.
Tout a débuté le 12 novembre
2012, la fondation Urgenda, une organisation non gouvernementale (ONG) militant
pour le développement durable aux Pays-Bas, écrit une lettre[2]
au premier ministre néerlandais Mark Rutte pour réclamer que l’État s’engage à
réduire ses émissions de dioxyde de carbone de 40% d’ici 2020. La réponse obtenue ne l’a guère satisfaite,
elle passe par conséquent à la vitesse supérieure. La fondation saisit le
tribunal de première instance de La Haye le 24 juin 2015. La voix procédurale
empruntée est tout à fait classique mais l’issue a eu un retentissement
international.
Dans une décision historique et
se fondant sur diverses sources à la fois nationales (la Constitution : Grondwet van het Koninkrijk der
Nederlanden), communautaires (objectifs fixés par l’Union Européenne et
Convention européenne des droits de l’homme) et internationales (la
Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC),
protocole de Kyoto et la COP21), le juge néerlandais affirme que les objectifs
de réduction des gaz à effet de serre pris par l’État sont trop faibles par
rapport aux sources susmentionnées.[3]
La décision raisonne aux quatre
coins du globe dans la mesure où elle consacre pour la première fois une
véritable obligation pour un État de se conformer aux objectifs mondiaux de
réduction des gaz à effet de serre. La solution prend encore plus d’ampleur
lorsque la cour d’appel de la Haye la confirme le 9 octobre 2018 [4].
Finalement pour conclure le
chemin procédural, la Cour suprême des Pays-Bas vient mettre la pierre ultime
de l’édifice jurisprudentiel selon lequel les Pays-Bas sont soumis à respecter
leurs engagements environnementaux dans le cadre de la lutte contre le
réchauffement climatique en rejetant le pourvoi en cassation introduit par
l’État le 20 décembre 2019. [5]
Ce qui accentue la pertinence et
l’urgence de la question est le visa sous lequel la Cour suprême rend la
décision. Les juges de la Haute juridiction néerlandaise ont souligné le lien
qui fut jusque-là implicite entre le réchauffement climatique et la protection
des droits de l’homme. Le visa est rendu sous l’article 2 de la Convention
européenne des droits de l’homme qui défend le droit à la vie et l’article 8 de
la même convention qui proclame le droit au respect de la vie privée et
familiale. Par conséquent, la lutte contre le réchauffement climatique et les
efforts mis dans cette optique deviennent une lutte pour défendre les droits de
l’homme. Les états doivent suivre l’exemple et défendre les droits de l’Homme
en réduisant leurs émissions de gaz à effet de serre.
Cette décision répond à une question
et en soulève deux. La question qui ne nous occupe plus l’esprit est relative
au poids de la COP21. Celles qui demeurent obscures ne seront révélées qu’avec
le temps à savoir la pertinence de cette décision et son essor international
encore incertain quant à la réussite des réclamations dans d’autres
juridictions.
L’accord de Paris sur le climat
compte en 2017 près de 196 signataires. Cependant, cette convention certes
ambitieuse sur le papier, n’a en revanche aucune force probante : elle
manque de « binding force ». Le retrait spontané de la première
puissance mondiale sous la présidence de Trump[6]
et l’absence de résultats concrets et tangibles en sont révélateurs.
La décision de la Cour suprême
néerlandaise vient inverser le courant et accorde aux engagements pris sous les
Accords de Paris de 2015 une pertinence incontestable sous l’aile de la
Convention Européenne des Droits de l’Homme (ConvEDH). Par conséquent, la lutte
contre le réchauffement climatique n’est plus facultative, elle devient désormais
obligatoire pour les états (européens en l’occurrence) car elle concerne des
droits de l’Homme. La question n’est plus uniquement économique ou politique,
elle est (enfin) devenue à juste titre une question de survie. Autrement dit,
les états qui ne respectent pas leurs obligations de réductions d’émissions de
CO2 dans les délais violent les droits fondamentaux à la vie en général et la
vie familiale en particulier.
Le droit international devient
ici un outil véritablement efficace. En effet, il a permis à soumettre un État
souverain à des obligations auxquelles il n’avait pas choisi de se soumettre.
La spécificité du système néerlandais est qu’il est moniste (les traités
internationaux sont applicables directement dans le droit interne du pays), ce
qui est également le cas pour la France. Nous pouvons ainsi naturellement nous
demander si une action semblable aurait les mêmes chances devant les
juridictions de la terre de Portalis.
Les conséquences de cette affaire
ne se limitent pas qu’aux Pays-Bas et cette dernière a inspiré d’autres
actions. Sous cette impulsion, deux recours ont été adressés contre l’État
français pour excès de pouvoir d’une part et en indemnisation d’autre part. Les
requêtes invoquent, à l’instar des arguments de l’ONG néerlandaise, une carence
fautive de l’État français. Quatre ONG ont introduit ces requêtes dans ce qu’on
appelle « l’affaire du siècle ».[7]
L’autre exemple français concerne
la requête introduite contre la commune de Grande Synthe devant le CE demandant
l’annulation de mesures d’adaptation et d’atténuation des émissions de gaz à
effet de serre. [8]
Au soutien de leur demande, les
demandeurs se fondent sur une obligation générale de lutte contre le changement
climatique qui serait issue de textes comme la Charte de l’environnement et la
ConvEDH. [9]
Ce mouvement français a été le
même au Pakistan[10],
en Allemagne dans une affaire impliquant le Pérou[11]
etc. Nous pouvons ici nous interroger sur la direction que le Conseil d’État
qui a toujours été hésitant pour reconnaître au droit international une
primauté sur le droit national prendrait [12],
et nous ne pouvons qu’espérer qu’il emprunte la même voie que son homologue
néerlandais.
Pour conclure, cette affaire
Urgenda a été qualifiée par la communauté légale internationale comme le
jugement le plus « fort » concernant le climat. [13]
Elle a inspiré par son succès, des actions similaires dans les quatre coins du
globe. Le droit international n’est plus seulement un outil utilisé par les
puissances mondiales du « Nord » pour faire pression sur les pays du
« Sud » dans le commerce ou la géopolitique. Cette décision n’est pas
seulement une victoire pour une fondation néerlandaise, elle est également un
triomphe pour les citoyens du monde, pour la cause environnementale pressante
et enfin pour le droit international qui revêt un rôle nouveau. C’est un petit
pas pour une ONG, mais un bond géant pour la cause.
Les
Pays-Bas continuent à être des précurseurs des actions en justice en se fondant
sur le droit international comme en témoigne le dépôt de plainte contre le
régime de Bachar Assad [14]
en Syrie pour « torture », « La Haye demande au régime syrien
une réparation du préjudice des victimes. »[15]
[1] Firas AIDI, étudiant en LLM en Trade and
Investment Law à l'Université d’Amsterdam, étudiant en 4ème année à
la Grande École du droit à la Faculté Jean Monnet à Sceaux – Paris Saclay
[3] District Court, La Haye,
24 juin 2015, aff. C/09/456689/HA ZA 13-1396
[4] La Haye, division du droit civil,
9 oct. 2018, État des Pays-Bas
c. Fondation Urgenda, n° 200.178.245/01
[5] The
Netherlands, Supreme Court, ‘Urgenda case’, 20-12-2019, n° 19/00135
[8] Suite
et fin de l’affaire Urgenda :
une victoire pour le climat, Charlotte Colin, Dalloz actualité, janvier
2020
[9] C. Cournil, A. Le Dylio et P.
Mougeolle, « L’affaire du siècle » : entre continuité et
innovations juridiques, AJDA 2019. 1864
[10]
Leghari v. Federation of Pakistan Reporter Info: (2015) W.P. No. 25501/201
[11] Saúl
versus RWE - The Huaraz Case
[12] CE Sect., 1er mars
1968, Syndicat des fabricants de
semoule, Rec. 149, confirmé ensuite par CE Ass., 22 octobre 1979, Union démocratique du travail, n° 17541 ; CE Ass., 13 mai 1983, SA René Moline, n° 37030.
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14 septembre 2020
[14]https://www.government.nl/latest/news/2020/09/18/the-netherlands-holds-syria-responsible-for-gross-human-rights-violations
[15] Les Pays-Bas prêts à des poursuites pour « torture » contre Damas Par Stéphanie Maupas, 19 septembre 2020, Le Monde