Saison Boston : Episode 1 : Les États-Unis, un modèle démocratique qui se défait

 

Les États-Unis, un modèle démocratique qui se défait

Pendant des décennies les États-Unis ont été considérés comme un modèle de gouvernance démocratique, gage de stabilité dans un monde qui en manquait cruellement. Pourtant la situation politique actuelle nous rappelle que la postérité de la démocratie n’est jamais acquise mais constamment remise en jeu. Le messianisme qui avait pu animer et inspirer les élites du monde entier semble s’être quelque peu dissipé. La démocratie américaine fait désormais moins rêver lorsque quelques jours avant l’échéance des mid-terms, le président Biden affirmait que ces élections pourraient être « le chemin vers le chaos»[1]. Un discours alarmant, symbole d’un modèle démocratique qui se défait.

Pourtant, les mid-terms se sont conclues dans la presque normalité : la vague rouge prédite n’a jamais atteint les rives du Capitole et la participation n’a pas failli. Alors au soir des résultats, on se conforte avec des paroles sereines : «ça n’a pas été aussi terrible que ça, on a évité le pire ». Mais au petit matin, une fois que les bons sentiments apaisants sont mis de côté, on constate avec amertume que la corrosion démocratique persiste. La violence politique sévit avec toujours plus de ténacité, tandis que ceux qui renient les résultats persévèrent dans leur mission calomnieuse. Au lendemain des élections, le pays est toujours divisé en deux Amériques qui ne se parlent plus.


Un déclin caractérisé par le discours anti-démocratique de Donald Trump

Le recul démocratique entamé par les États-Unis ne saurait se résumer au seul nom de Donald Trump. L’arrivée de l’homme d’affaires à la Maison Blanche ne fait que caractériser un processus plus complexe et plus ancien. Sous la présidence de Barack Obama, déjà les institutions étaient sous le feu de la critique. Le succès du mouvement Tea Party en 2006 a contraint les républicains à s’orienter sur une position davantage droitière ; tandis que sur l’autre flanc de l’échiquier politique, la montée en puissance de Bernie Sanders a retranché le parti démocrate dans un positionnement plus social. Pourtant, les institutions américaines sont basées sur le partage du pouvoir, où le président ne peut rien sans le Congrès. Alors que la Constitution induit le compromis, la polarisation de la vie politique complexifie les discussions entre chacun. Le bipartisme traditionnel rend impossible l’émergence de petits partis qui pourraient servir de canal de transmission intermédiaire entre les deux blocs. Quand le parler semble s’être échappé pour une meilleure confrontation, la machine démocratique se frisque. Le filibuster[2] est utilisé sur une base trop régulière. En automne 2013, les républicains de la Chambre des représentants refusent de voter le budget, engendrant un blocage des institutions fédérales.[3] Les Américains, désabusés par leurs politiciens, assistent béats à la dégradation de la vie politique.

Pendant ce temps, un personnage sulfureux prépare son entrée. Aussi consternant que passionnant, le visage dissimulé derrière une pellicule de poudre orangée, les cheveux fictivement dressés, le discours rodé aux phrases populistes, Donald Trump fait ses premiers pas en politique et renoue avec l’électorat de la classe moyenne. Les promesses de « lendemains qui chantent » fusent et séduisent, tandis que les attaques contre une élite intellectuelle confinée à Washington rassasient les victimes de la crise financière. Si bien que celui qu’on n’attendait pas, fait tomber les politiques traditionnels. La présidence Trump est alors marquée par la violence et l’invective, qui atteint son paroxysme avec l’invasion du Capitole lorsqu’une foule enragée, et encouragée par son président, envahit le lit de la démocratie américaine. Fièrement outrancier et volontairement menteur, Donald Trump a dynamité l’image traditionnelle de la fonction, sans pour autant que quelque chose de différent ne demeure après quatre ans de gouvernance. Les problèmes institutionnels n’ont fait que croître. Il ne sera parvenu qu’à électriser une Amérique déjà sous tension, et qui s’éloigne de ses idéaux de démocratie.


La négation des résultats, un mal démocratique    

              La démocratie est mise au défit lorsque certains n’hésitent pas à remettre en cause le résultat des élections. Donald Trump, peu enclin à la discrétion, crée l’embarras en refusant de reconnaître le dénouement des présidentielles de 2020. Cet état d’esprit semble avoir infusé dans la tête de certains républicains, puisque durant les mid-terms, 300 se disaient prêts à contester les résultats. Ces derniers s’attachent à diffuser l’idée selon laquelle les votes seraient manipulés et les élections truquées. Certains citoyens tombent sous le joug des paroles complotistes qui dénoncent de prétendues fraudes électorales. La démocratie perd alors en vigueur lorsque ses électeurs pensent que leurs voix ne comptent plus.

Les enjeux des mid-terms étaient donc importants. D’autant plus que ces élections ne concernent pas seulement le Congrès, mais également les postes locaux, et notamment celui de Secrétaire d’Etat. Cette charge est particulièrement stratégique lorsque l’on se projette pour les prochaines élections présidentielles. En effet, le Secrétaire d’Etat a pour mission d’organiser et d’approuver le résultat des élections dans un état. Si certains négateurs sont portés à ce poste, on peut aisément imaginer les conséquences que cela pourrait entraîner au cours des prochaines présidentielles.


Une approche de la démocratie différente

              Par ailleurs, si la démocratie américaine peut sembler paradoxale, c’est également parce qu’elle repose sur des institutions et des mécanismes différents. En effet, ce système a été pensé selon la vision des Pères fondateurs qui se méfiaient des vices d’une démocratie pleine et totale. Il y a tout d’abord cette Cour Suprême, qui pour un Français habitué à ses institutions, passe pour une hérésie. La Cour Suprême des États-Unis est en quelque sorte l’ange gardien du droit américain. Alexis de Tocqueville parlait d’un « rang élevé (...) parmi les grands pouvoirs de l'État »[4]. Les 9 membres sont nommés à vie par le président après validation du Sénat. Leur rôle est de trancher sur des décisions rendues par les juridictions fédérales et étatiques. Elle examine des textes de loi ou des décrets présidentiels pour s’assurer de leur constitutionnalité, et produit une jurisprudence particulièrement influente. C’est la Cour Suprême, dans sa célèbre décision Brown Vs. Board of Education, qui a mis un terme à la ségrégation[5]. C’est cette même Cour qui dans l’arrêt Dobbs Vs. Jackson Women's Health Org, a ouvert aux états la liberté de légiférer sur la légalité de l’avortement, sacrifiant la pérennité un droit fondamental[6]. En effet, la Cour Suprême n’hésite pas à trancher des questions très controversées qui animent les passions. En 2000, la Cour Suprême dans la décision Bush Vs. Gore donne la présidence à George W. Bush par 5 voix. Autrement dit, le résultat de l’élection du 43ème président américain s’est décidé à une voix près. Dans son opinion dissident, John Paul Stevens écrit le ton amer : « nous ne connaîtrons peut-être jamais avec une complète certitude l’identité du vainqueur de cette élection présidentielle, mais l’identité du perdant est parfaitement claire : c’est la confiance de la nation dans le juge comme gardien impartial du règne du droit »[7]. Sans tomber dans les écueils de la théorie du gouvernement des juges, le destin des États-Unis semble en partie reposer dans les mains de 9 juges, qui ne tire leur légitimité d’aucune élection, mais de la nomination quasi-discrétionnaire d’un seul Homme. Ce sont en effet ces 9 personnes, bien loin de représenter la diversité sociale du pays, qui vont donner la direction à toute une nation. 

Autre différence culturelle : le système électoral. En effet, les citoyens n’élisent pas directement un président. Les Américains votent pour la constitution d’un corps électoral (Grands électeurs) qui aura ensuite pour mission d’élire un président. Mais ce système peut sembler surprenant, le mode de fonctionnement de l’élection des grands électeurs l’est tout autant. En effet, l’élection du corps électoral est animée par la règle de la prime au vainqueur, qui permet aux gagnants d’une élection de remporter tous les grands électeurs d’un état[8]. Ce fonctionnement induit la possibilité que le président puisse être élu par le collège, sans avoir obtenu la majorité des voix des citoyens. Il est également important de comprendre que les États-Unis sont divisés en 50 État fédéraux qui s’entendent sur 3 000 km de longueurs, des grandes forêts fraîches de l’Alaska, au désert du Mexique. Il est donc évident que la vision démocratique américaine repose sur un système qui diffère de nos institutions jacobines.


Un modèle américain qui se meurt ou qui n’est jamais né ?       

             Pour que le modèle américain puisse se défaire, il faut encore que ce modèle ait déjà été. En effet, pendant des années les États-Unis ont aimé à se considérer comme un modèle démocratique. Durant la Guerre froide, les Américains se sont exhortés à exporter dans le monde l’idée de la démocratie, alors qu’en même temps, dans ce « pays modèle », toute une partie de sa population était soumise à un régime différent en raison de sa couleur de peau. La démocratie parfaite n’a jamais existé, et n’existera jamais, car aucun système n’est exempt de vice[9]. D’ailleurs, dès la naissance des États-Unis, les Pères fondateurs avaient une vision limitée de la démocratie. Il s’agit d’une organisation sociétale polysémique, et toute personnelle, qui s’établit sous différentes apparences, selon les pays, selon les histoires et les vécus. C’est un même mot qui peut dire beaucoup de choses, un même concept qui peut être abordé sous plusieurs formes. Ainsi, notre vision de la bonne démocratie diffère et différa toujours de celle de nos amis Américains. Cependant, ce que nous avons en commun, c’est que la démocratie est un bien précieux et fragile, qui pour perdurer, doit toujours animer l’intérêt de ses électeurs. Or, le mal de la démocratie américaine réside ici : les Américains croient moins en ce modèle.

Allan DEMARLE



[1] Véronique Le Billon, Midterms : Joe Biden met en garde les Américains contre le « chemin vers le chaos », Les Echos 3 novembre 2022

[2] Technique d’obstruction parlementaire qui permet de rallonger la durée des débats

[3] Laurence Nardon, Trump et la crise de la démocratie américaine, Politique étrangère 2017 (Printemps), pages 11 à 22

[4] Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 1

[5] Brown v. Board of Education, 344 U.S. 1

[6] Dobbs v. Jackson Women's Health Org., 142 S. Ct. 2228

[7] Bush v. Gore, 531 U.S. 98, voir aussi Podcast Olivier Duhamel, Mister President

[8] Anne-Emmanuelle Deysine, États-Unis : quelle démocratie ?, Parlement, Revue d'histoire politique 2004 (n° 2)

[9] il est certain que le fonctionnement de nos institutions est parfois également critiquable

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