Saison Berlin - Épisode 15 : L'affaire Starbucks, un jugement inédit.
Affaire Starbucks : un jugement inédit.
Par Claire Merlin
Article du 9 mars 2020.
Actuellement étudiante en 4ème année au sein de la Grande École du Droit, j’ai l’opportunité de poursuivre mon cursus à l’étranger et ainsi d’effectuer un LL.M. Ayant un intérêt tout particulier pour la fiscalité, j’ai choisi de réaliser cette année à l’Université de Tilburg (Pays-Bas) au sein du LL.M International Business Tax Law. Ce programme m’a notamment permis d’étudier les structures fiscales de sociétés internationales à travers des affaires devenues célèbres telles qu’Apple ou Starbucks.
La fiscalité comme levier d’attractivité
Parmi les membres de l’Union Européenne, les Pays-Bas font partie, avec l’Irlande notamment, de ces États souvent pointés du doigt par les instances politiques européennes pour leur fiscalité particulièrement avantageuse, de nature selon elles à fausser la pleine concurrence du marché européen.
En effet, ce royaume d’Europe de l’ouest a fait de sa fiscalité un levier majeur d’attractivité en offrant aux sociétés des nombreux avantages et un terrain propice au développement de leurs activités financières et commerciales. A titre d’exemple, les Pays-Bas proposent un taux d’imposition sur les sociétés concurrentiel de 20% à 25% (amené à diminuer dans les prochaines années), inférieur au taux moyen pratiqué par le reste des pays d’Europe.
Plus encore, la pratique dite du tax ruling (accord fiscal passé avec l’administration) est largement admise et utilisée par les autorités fiscales néerlandaises pour assurer la présence des groupes internationaux sur le territoire et fidéliser ces derniers. Ces accords fiscaux (généralement secrets) représentent des outils primordiaux pour les multinationales pour obtenir des décisions anticipées en matière d’impôt et ainsi sécuriser certains de leurs montages fiscaux.
Des rescrits fiscaux dans le viseur de la Commission Européenne
Cet environnement fiscal décrit comme « avantageux » a cependant été qualifié par le Parlement Européen comme constitutif d’un « paradis fiscal » au sein de l’Union Européenne dans une déclaration du 26 mars 2019, illustrant la volonté du Parlement de renforcer les mesures européennes de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale.
Ainsi, depuis quelques années, ces accords ont attiré l’attention de la Commission Européenne qui a décidé de lancer de multiples investigations à l’encontre des États membres ayant recours à ce mécanisme, notamment le Luxembourg, l’Irlande et les Pays-Bas. Ces enquêtes se sont systématiquement concentrées sur la conformité des accords fiscaux préalables à la législation européenne et notamment à la réglementation applicable aux aides d’État.
En somme, la démarche entreprise par la Commission avait pour objectif de démontrer que les avantages fiscaux tirés de l’application de ces accords étaient susceptibles de fausser la concurrence entre les États membres par l’octroi d’aides d’État illégales.
A l’issue d’enquêtes ouvertes en juin 2014, la Commission est parvenue à la conclusion que les Pays-Bas avaient, par la conclusion d’un ruling avec le groupe Starbucks, accordé un avantage fiscal sélectif permettant à la multinationale américaine de réduire artificiellement sa base d’imposition. Cette décision enjoignait ainsi l’État néerlandais à récupérer entre 20 et 30 millions d’euros auprès du groupe américain.
A l’instar de l’Irlande face au cas Apple, le gouvernement néerlandais a décidé de faire appel de cette décision.
L’affaire Starbucks
Plus précisément, la société Starbucks Manufacturing EMEA BV, chargée de la torréfaction du café pour l’intégralité du groupe en Europe, avait passé en 2008 un accord préalable en matière de prix de transfert avec l’administration fiscale néerlandaise lui permettant de réduire considérablement sa base taxable aux Pays-Bas.
Les prix de transfert sont ceux auxquels les sociétés d’un même groupe facturent les biens cédés ou les services prestés entre elles. Concrètement, il s’agit du prix pratiqué par Starbucks Manufacturing lors de la vente des grains torréfiés aux entités européennes du groupe Starbucks.
Il résulte de cet accord que l’essentiel des bénéfices de la société de torréfaction de café est transféré à l’étranger, par la mise en place d’une structuration juridique et fiscale impliquant le paiement d’un prix élevé injustifié à la société suisse et le versement de redevances inhabituelles au Royaume-Uni (voir illustration ci-dessous).
© ec.europa.eu
Selon la Commission Européenne, les prix de transfert pratiqués étaient excessifs au regard de la valeur du marché et n’auraient donc pas dû être validés par l’administration néerlandaise dans le cadre de la délivrance du rescrit à Starbucks. L’avantage subséquent accordé à ce groupe devrait dès lors être considéré comme une aide d’État illégale selon la réglementation européenne et faire l’objet d’une récupération par les Pays-Bas pour réduire la distorsion de concurrence.
Une approche casuistique
Le 24 septembre 2019, le tribunal de l’Union européenne rendait finalement sa décision en faveur de Starbucks et de l’État néerlandais, jugeant que la Commission n’avait pas démontré l’illégalité des accords conclus entre les services fiscaux néerlandais et le groupe Starbucks pour l’imposition de ses bénéfices. La décision rendue par la Commission Européenne enjoignant l’État néerlandais à récupérer près de 30 millions d’euros auprès de l’enseigne américaine est donc annulée.
Néanmoins, par un jugement du même jour, le tribunal donnait raison à la Commission dans une affaire similaire l’opposant au constructeur automobile Fiat et à l’État luxembourgeois, obligeant ce dernier à récupérer auprès du premier des aides illégales d’un montant d’environ 30 millions d’euros. Le constructeur a fait appel de cette décision.
Ces deux décisions ne permettent toutefois pas de déterminer avec précision les critères retenus par le tribunal pour s’assurer de la conformité des rulings avec la réglementation européenne en matière d’aides d’État.
Dans ce contexte, le jugement concernant l’accord fiscal passé entre Apple et l’Irlande et remis en cause par la Commission Européenne à hauteur de 13 milliards d’euros est particulièrement attendu.
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