Saison Berlin - Épisode 11 : Déplacement des sièges sociaux des multinationales aux Pays-Bas : un paradis fiscal au cœur de l’Union Européenne ?

Déplacement des sièges sociaux des multinationales aux Pays-Bas : un paradis fiscal au cœur de l’Union Européenne ?

Par Mathis Aubry—Lallement
Article du 10 février 2020

Dans le contexte d’incertitude à la fois juridique, politique et surtout économique entourant le Brexit, la bataille fait rage depuis plusieurs mois entre les nations européennes pour attirer les sociétés souhaitant quitter le Royaume-Uni. Les Pays-Bas s’imposent indubitablement comme l’un des gagnants de ce grand mouvement de déménagement et confirme son statut privilégié en tant que pays d’accueil des entreprises en Europe.  
Selon l’Agence néerlandaise des investissements étrangers, près de 100 compagnies internationales ont déménagé aux Pays-Bas depuis le référendum sur le Brexit en juin 2016, et 325 autres sont intéressées par un tel transfert. 
Ainsi le groupe PSA - Fiat Chrysler, officiellement en route vers une méga-fusion, a annoncé son choix d’installer son futur siège social aux Pays-Bas. S’inscrivant dans la lignée de nombreuses entreprises multinationales, le groupe rejoint ainsi plusieurs sociétés du CAC40 déjà implantées dans le royaume hollandais : Airbus, STMicroelectronics, l’alliance Renault-Nissan mais également d’autres géants comme Philips ou encore dernièrement l’agence financière américaine Bloomberg. 
Quels sont les facteurs d’une telle attractivité ?
Les raisons expliquant cet intérêt des grands groupes mondiaux sont multiples. Bien évidemment, les Pays-Bas disposent en premier lieu d’une qualité de vie élevée, d’infrastructures et d’une logistique de pointe autour du port de Rotterdam et de l’aéroport international de Schiphol et de ressources humaines grandement qualifiées. Mais l’atout des Pays-Bas réside principalement dans son climat d’investissement avantageux, stable et favorable à l’innovation. Ainsi, les dispositions fiscales néerlandaises sont particulièrement attractives et se trouvent doublées d’une législation sur les sociétés reconnue pour sa souplesse. 
Actuellement, les multinationales ne sont soumises à aucune obligation de délai pour déclarer les pertes enregistrées à l’étranger. De plus, elles bénéficient de taux d’imposition très bas sur certaines activités et disposent de nombreux dispositifs d’optimisation fiscale. Selon le principe du tax ruling (agrément fiscal), les entreprises peuvent également passer un accord avec le fisc néerlandais afin de se voir garantir des taux d’impositions fixes pendant quatre à cinq ans.
En matière de droit des sociétés, les actions à droit de vote multiple sont autorisées contrairement à la France et le cadre pour les recours collectifs d’actionnaires est également bien plus accueillant. 
Une attractivité en baisse ?
Bien que les Pays-Bas ne figurent pas sur la liste des paradis fiscaux de l’Union Européenne, ce système particulièrement favorable aux grandes multinationales, et les milliards de bénéfices échappant à l’imposition qui en découlent, sont fortement décriés. Bien que la législation fiscale néerlandaise ait déjà dû évoluer vers une convergence moins attrayante liées aux directives européennes au cours des dernières années, le gouvernement tente de corriger cette image de paradis fiscal pour les grands groupes.
Ainsi, en septembre dernier, la coalition du Premier ministre Mark Rutte a présenté une modification de la loi sur la taxation des bénéfices, qui devrait être effective à partir de 2021. Selon la nouvelle législation, les entreprises auront trois ans maximum pour déclarer les pertes occasionnées à l’étranger. 
Sous la pression de Bruxelles, les Pays-Bas se trouvent donc contraint à adopter une règlementation plus uniformisée et moins avantageuse. Toutefois, la législation reste encore grandement favorable aux grands groupes et le petit royaume demeure une destination privilégiée des multinationales.
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Dans le cadre de ma 4ème année au sein du cursus de la Grande Ecole du Droit, j’effectue cette année un LL.M en International Trade and Investment Law à l’Université d’Amsterdam. 
Au détour de mes (très) nombreux trajets à vélo, je me suis pourtant interrogé sur la localisation de ce fameux centre d’affaire aux hautes tours qui ne fait absolument pas partie du décors somptueux de la capitale. Visiblement, comme la position très privilégiée de la législation néerlandaise au sein de l’Union Européenne, les grandes tours de sièges sociaux semblent chercher à se faire discrètes…
Cette interrogation a abouti en une passionnante discussion avec l’un de mes enseignants qui m’expliquait que ces centres d’affaires, situés en périphérie ouest et sud de la ville, étaient actuellement en pleine expansion et faisaient l’objet d’importants travaux d’agrandissements. 
Parfaite illustration de la transformation en cours liées à l’arrivée de nombreuses sociétés multinationales à Amsterdam et plus globalement dans toutes les grandes villes des Pays-Bas. 
Il me précisait également qu’aux côtés de cette tendance contraignante, les Pays-Bas et notamment son administration fiscale, bien que suivant les principes d’un gouvernement très libéral, prenait grand soin de rester vigilante sur de possibles dérives. 
De plus, à moins d’une modification des règles fiscales au sein de l’Union Européenne ; modification qui se trouverait conditionnée à la règle d’or de l’unanimité des pays membres – donc très ardue à obtenir ; les Pays-Bas devraient pouvoir maintenir cette réglementation très souple et favorable dans les années à venir.
Par ailleurs, l’attractivité des Pays-Bas pour les sociétés multinationales reste très forte dans le contexte d’imprévisibilité lié au Brexit. Alors que le vendredi 31 janvier, le Royaume-Uni est sorti de l’Union Européenne, de nombreuses entreprises cherchant à échapper aux conséquences économiques devraient suivre le mouvement et envisager un déménagement vers le plat pays.  
En ce sens, les géants japonais Sony et Panasonic ont déjà annoncé le transfert de leur siège européen du Royaume-Uni vers les Pays-Bas.
Les gratte-ciels vont donc continuer à fleurir au milieu des canaux…















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