Saison Berlin - Episode 13 : Quand on pensait ne plus pouvoir réinventer la diplomatie
Quand on pensait ne plus pouvoir réinventer la diplomatie
Article du lundi 24 Février
Par Pierre Ponsoda
La crise US-Iran nous a prouvé le contraire ce 3 janvier dernier. Suite à la mise à mort du général iranien Soleimani par une frappe aérienne américaine, les États-Unis ont envoyé un message crypté via la Suisse pour calmer les tensions.
« Do not escalate »
Si tous les autres moyens de communication directe entre les deux États avaient été coupés dans les heures suivant la frappe, ces mots ont pu être envoyés par l’administration Trump par fax via l’ambassade Suisse à Téhéran. Dans les jours qui ont suivi, les échanges par cet intermédiaire ont été multipliés pour éviter l’escalade du conflit.
Liaisons dangereuses
Cet évènement pose plusieurs problématiques intéressantes. Premièrement, la pratique de communication par câbles diplomatiques cachés devient monnaie courante et de plus en plus de messages passent par des intermédiaires neutres localisés en Suisse. Si le phénomène est ancien, son ampleur est nouvelle : on assiste un véritable fleurissement de la « diplomatie privatisée » rassemblant opinions publiques, ONG, philanthropes et entreprises. Les conflits se résolvent désormais derrière les rideaux. Ainsi, cet évènement pourrait constituer une remise en question directe de la légitimité des institutions officielles comme l’ONU qui ne semblent plus être en mesure de résoudre les conflits par le biais de ses résolutions dans un objectif de maintien de la paix. La Suisse détient déjà à elle seule six « mandats de puissance protectrice » lui permettant de représenter des intérêts étatiques à l’étranger (U.S. en Iran depuis 1980, Russie en Géorgie depuis 2009 etc.).
(Des Iraniens brûlent un drapeau américain lors d'une manifestation contre les États-Unis à Téhéran, en Iran, le 3 janvier 2020, suite à l'assassinat du commandant, Qassem Soleimani.
ATTA KENARE/AFP VIA GETTY IMAGES/GETTY)
Neutre comme la Suisse
Lors de mes cours, j’ai eu l’occasion de discuter avec le Pr. Andrew Clapham, spécialiste en droit humanitaire international à l’Institut des Hautes Études et du Développement de Genève sur ce sujet. En effet, une problématique persiste lorsqu’on évoque la soi-disant « neutralité » de la Suisse dans le cadre des conflits mondiaux. Depuis son entrée dans l’ONU, la Suisse se doit de respecter les résolutions prises par le conseil de sécurité et participer directement à l’effort commun de maintien de la paix, écartant ainsi l’application des « lois de neutralité » suisses. On pourrait donc tout à fait imaginer le survol militaire du pays dans le cadre d’une opération de maintien de la paix en cas de décision du G5 en ce sens.
C’était juste une frappe
Finalement, le renouvellement du conflit entre les États-Unis et l’Iran revêt un intérêt tout particulier dans la mesure où il reste difficile de le définir. Un conflit entre deux États est normalement qualifié de Conflit Armé International (CAI), définition donnée par le Comité international de la Croix Rouge comme un conflit opposant deux États quelles que soient les raisons ou l’intensité́ de cet affrontement. De plus, aucune déclaration de guerre formelle ou reconnaissance de la situation n'est nécessaire. Cependant, la labellisation du conflit en CAI implique l’application des conventions de Genève de 1949 et de l’intégralité du droit humanitaire international. Cependant, les États-Unis préféreront évoquer un « incident » plutôt que de reconnaitre officiellement un affrontement afin d’éviter une crise diplomatique généralisée. Entre assassinat illégitime ou objectif militaire justifié, conflit armé international ou incident, la crise US-Iran semble redoubler de profondeur.
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La Grande École du Droit est une formation d’excellence qui permet à ses étudiants de réaliser une partie de leur cursus en droit (LL.M.) dans l’université étrangère de leur choix. Élève en 4e année à la Grande École du Droit, mon choix pour cette année de LL.M. s’est porté sur l’Institut des Hautes Études Internationales et du Développement de Genève, en Suisse.
L’ONU à gauche, l’OMC à droite, l’OMS en face et le CICR derrière, ce sont autant d’acronymes que je feins toujours de comprendre après 4 mois d’incursion dans la ville au jet d’eau. C’est pourtant bien au centre névralgique des relations internationales que la petite promotion de 26 étudiants du LL.M. en « International Law » évolue. Entre diplomates, avocats, politologues et autres parcours professionnels pleins de panache, c’est votre serviteur fraichement diplômé qui vous présente ce programme regroupant plus de 15 nationalités différentes.
L’institut s’appuie tout particulièrement sur son réseau de professionnels, alumni et professeurs pour organiser des conférences sur des thèmes divers et variés. Parmis les organisateurs, les 6 départements académiques et les 9 centres de recherches se rejoignent pour traiter de sujet d’actualité ou d’enjeux contemporains. En lien avec notre article, c’est le département d’anthropologie et de sociologie qui a organisé une conférence le 30 janvier dernier autour de « La liberté scientifique en danger sur les cinq continents ». En effet, l’occasion était belle pour évoquer « l’exécution extrajudiciaire par les États-Unis du général Soleimani » dans le cadre des sanctions internationales contre l’Iran et de la détention de scientifiques par le gouvernement.
La multiplicité des évènements, des possibilités de réseautage et d’opportunités professionnelles font de cette expérience une année tout à fait enrichissante et épanouissante culturellement, professionnellement et académiquement parlant.
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