Saison Berlin - Épisode 12 : Un questionnement sur l’instrumentalisation à des fins politiques du système juridique et électoral aux États-Unis à l’aune des prochaines élections présidentielles

Un questionnement sur l’instrumentalisation à des fins politiques du système juridique et électoral aux États-Unis à l’aune des prochaines élections présidentielles

Article du lundi 17 février 2020
Par Chloé Nateghi
Étudiante en 4ème année à la Grande École du Droit, je réalise actuellement mon LL.M. en Droit des affaires internationales, avec une spécialité en arbitrage international à l’Université de Georgetown, à Washington aux États-Unis. Cette opportunité me permet de m’épanouir sur le plan intellectuel et professionnel au sein de cette illustre Université et de cette dynamique communauté juridique sur la rive gauche du Potomac ! Dans le cadre de mon apprentissage, j’ai eu l’occasion de me questionner sur le système juridique et électoral des États-Unis, à l’aune des élections présidentielles du 3 Novembre 2020. 

Un rappel du particularisme du système électoral présidentiel américain

Les primaires présidentielles au niveau des États permettent de sélectionner des délégués de chaque État, qui éliront à l’occasion de conventions nationales, le président et le vice-président des partis Républicain et Démocrate. Ces primaires ont lieu en février de l’année des élections. 

Dès lors, débute les campagnes électorales aux alentours de Septembre.

Au mois de Novembre, les citoyens américains élisent leur président au suffrage universel indirect. Les citoyens votent dans chaque État pour élire leurs grands électeurs, proportionnellement au nombre d’habitants de chaque État. La liste majoritaire de grands électeurs d’un parti ou de l’autre, hormis quelques États, remporte l’ensemble des voix de l’État.  Actuellement, le collège électoral compte 538 grands électeurs. 

Ce processus d’élection au suffrage universel indirect se reproduit tous les 4 ans. 

Le phénomène de gerrymandering : un découpage électoral partisan

Le gerrymandering est un découpage électoral partisan pour désigner les délimitations des circonscriptions électorales permettant d’avantager un certain parti politique.  




Illustration du phénomène de gerrymandering. 
New poll: Everybody Hates Gerrymandering, fairvote.org

L’expression nous provient du gouverneur Elbridge Gerry du Massachussetts, qui en 1812 redécoupa l’État, lui donnant la forme d’une salamandre, en faveur de son parti. La combinaison de Gerry et salamander, donna la naissance à l’expression gerrymandering




Caricature de Elbridge Gerry et son découpage du Massachussetts.
About Gerrymandering, fairdistrictpa.com


Les Swing-States sont notamment plus enclins au phénomène de gerrymandering. L’État de Pennsylvanie est une illustration flagrante de ces manipulations géographiques pour favoriser l’un ou l’autre des partis politiques. Des projets de loi ont été déposés au Parlement et Sénat de Pennsylvanie pour mettre en place une commission indépendante de citoyens qui traceraient des lignes justes reflétant les réalités de la communauté. 






L’État de Pennsylvanie au fil des années.
About Gerrymandering, fairdistrictpa.com


Au niveau fédéral, la Cour Suprême des États-Unis a jugé un nombre croissant d’affaires traitant du gerrymandering, invalidant notamment le découpage partisan du Wisconsin dans l’affaire Whitford v. Gill, US Supreme Court, 2017, ou encore plus récemment, invalidant la pratique de gerrymandering de l’État de Floride dans une affaire Detzner v. League of Women Voters of Florida, US Supreme Court, 2018. 

Au niveau des États ou au niveau fédéral, apparaissent donc des frustrations et des condamnations croissantes au regard du phénomène du gerrymandering. Mais pourquoi ?

Comme le témoigne les élections présidentielles passées, ce phénomène peut avoir de grandes conséquences sur le résultat des urnes. Donald Trump a été le grand gagnant du collège électoral en 2016, alors qu’il avait un nombre de voies largement inférieur à sa compéitrice Hillary Clinton par le scrutin populaire « un homme – une voix ». 

Les décisions de la Cour Suprême sur ces questions partisanes a donc un effet radical sur le destin des partis au sein des législatures des différents États, de la chambre des représentants, mais vraisemblablement aussi sur les élections présidentielles. 

Le District of Columbia et Puerto Rico se voyant refuser le statut d’État

Vivant à Washington, je me suis rapidement questionnée sur le statut particulier de la ville. Il apparaît frappant que Washington ait plus de résidents que le Wyoming et le Vermont, mais se voit refuser le statut d’État. 

L’explication est pourtant très simple et remonte à la rédaction de la Constitution en 1787, où les pères fondateurs ont décidé d’instituer une capitale permanente, tout en étant réticents d’octroyer à un État tant de pouvoir. 

Ils ont donc écrit dans l’article 1, section 8, clause 17 de la Constitution américaine que le Congrès aurait le pouvoir législatif sur cette capitale, et que le gouvernement de cette ville serait indépendant de tout État. En résumé, la création de l’État de Washington serait contraire à la Constitution. 

Néanmoins, Washington reste la résidence de 713 000 américains, qui n’avaient pas de droits de vote jusqu’en 1961. La déléguée de Washington au Congrès, Eleanor Holmes Norton, a déposé un projet de loi en Janvier 2019 pour faire d’une majorité du territoire du District of Columbia, le 51ème États des États-Unis, ainsi que la nomination de deux sénateurs et un représentant. 

Nous pouvons dresser le parallèle avec le statut particulier de Puerto Rico, qui est un territoire incorporé aux États-Unis. Ce n’est ni un État souverain, ni un État des États-Unis. Les portoricains ont aussi des droits particuliers, ils n’ont pas de droit de vote, mais ne sont pas sujets aux impôts fédéraux. Puerto Rico a réalisé 5 référendums sur l’accession au statut d’État. En 2017, le vote a été de 97% pour devenir un État des États-Unis. Alors, pourquoi Puerto Rico n’est toujours pas un État ? 

Nombreux commentateurs ont mis l’accent sur le besoin de rétablir leur situation financière avant de devenir un État, notamment après l’ouragan Maria. 

En réalité, le choix est entre les mains du Congrès et le Congrès a décidé de ne pas se prononcer jusqu’à présent. Le plus grand obstacle, c’est qu’il n’existe pas de procédé officiel pour l’accession au statut d’État.  

Certains commentateurs ont néanmoins mis l’accent que l’accession de ces 2 territoires au statut d’État soulève une autre préoccupation d’ordre politique. 

Certains considèrent en effet, pour reprendre les mots du sénateur Mitch McConnell, que laisser le District of Columbia et Puerto Rico accéder au statut d’État serait du « socialisme ». Puerto Rico et Washington sont des territoires à dominance largement Démocrate, ce qui pour certains, expliquerait le surplace auquel font face ces territoires quant au procédé d’accession au statut d’État. Leur accession changerait fondamentalement la balance en faveur du parti Démocrate. 

Ces illustrations permettent de s’interroger sur la pertinence des propos de ceux qui reprochent au système juridique électoral américain son instrumentalisation par la politique.  



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