Saison Dublin - Episode 1 : Le Brexit ou la revanche irlandaise

LE BREXIT OU LA REVANCHE IRLANDAISE 

Par Théophane Corlay 



« We've been waiting seven hundred years, you can have the seven minutes? » rétorquait Michael Collins au Représentant de la Couronne Britannique qui lui faisait observer qu'il avait sept minutes de retard. C’était le 16 Janvier 1922, le jour de la remise du château de Dublin par les Britanniques à l'État libre d'Irlande qui mettait symboliquement fin à la guerre d’indépendance irlandaise. 





Parler de « revanche » irlandaise pour qualifier le Brexit vu par l’Irlande est un terme guerrier mais bien adéquat. Il y a cent ans, l’Irlande devenait enfin libre au prix du sang et des larmes. Un peuple soumis à l’Angleterre pendant plus de sept cents années voyait son indépendance acquise. Malgré cette interminable période, le sentiment d’appartenance à une même nation, au peuple irlandais, était resté indéfectible. 

 Toutefois, les Anglais s’étaient décidés à ne pas quitter Dublin sans laisser un dernier souvenir. L’Irlande fut coupée en deux. Belfast, l’une des villes les plus riches de l’île resta Anglaise et la victoire fut gâchée. Pour les cent prochaines années et peut-être plus encore, l’Irlande se trouva un nouvel ennemi : ellemême. Michael Collins, héros des premières heures de la vieille IRA (Irish Republican Army) mourut le 22 août 1922 sous les balles de ses compatriotes, de l’organisation dont il avait été l’un des principaux leader, pour avoir accepté de donner Belfast en contrepartie de l’indépendance de l’Irlande du Sud. Sur la photo ci-dessous, on peut voir des soldats anglais s’apprêtant à embarquer pour l’Angleterre. Derrière eux ils ont écrit « Good bye Dublin » et, d’un air goguenard, ils fixent un objectif qui vient immortaliser le moment. Les anglais partaient mais derrière eux, ils laissaient un pays pauvre et divisé.  




La rivalité entre ces deux pays est encore indiscutablement présente. Qu’ils s’agissent de mes deux fiers colocataires irlandais ou de mes braves coéquipiers du rugby, la défaite de l’Angleterre à la finale de l’euro de football l’an dernier est encore un doux souvenir qu’il faut savoir faire perdurer.

Après cette brève et personnelle description de la relation qui existe entre irlandais et anglais, il est temps que le cœur du sujet soit enfin abordé. Pourquoi le Brexit pourrait-il être qualifié de « revanche irlandaise » ?

Je crois que la sortie de l’Union européenne du Royaume-Uni est l’un des premiers véritable bienfait d’une indépendance cruellement gagnée. Cela s’explique par deux raisons. Tout d’abord, le Brexit est la plus franche expression d’un peuple qui a pris en main son destin. Ensuite, le Brexit est une opportunité pour les irlandais de jouer un nouveau rôle dans l’Union Européenne.

L’Irlande a su prendre en main son destin. La comparaison avec l’Ecosse est ici parfaitement révélatrice de l’importance de gagner son indépendance pour un pays. En effet, l’Ecosse a dû se résoudre à sortir de l’UE alors que sa population était majoritairement opposée au Brexit. Par ailleurs, lors du référendum sur son indépendance en 2014, la sortie de l’UE dans le cas où le « OUI » l’emporterait a été l’une des raisons principale pour laquelle les écossais ont préféré rester au sein du Royaume-Uni. L’Irlande, elle, a pu rester dans l’Europe par ce que cent ans plus tôt son peuple s’est battu pour décider par lui-même de ces questions qui changent profondément l’avenir d’un pays. 

Ensuite, le Brexit est une réelle opportunité pour l’Irlande de prendre la place qu’occupait le Royaume-Uni au sein de l’Europe du fait de ses similarités. Un exemple ? Combien d’entre nous à la Grande Ecole du Droit désiraient ou désirent partir en Angleterre et en Ecosse ? Malheureusement, l’augmentation drastique des frais de scolarité est un paramètre à prendre en compte pour ces deux derniers pays. Or, bien que l’Irlande, l’Angleterre ou l’Ecosse soient des pays très différents, l’Irlande apparait comme une belle alternative car moins coûteuse pour tout étudiant désireux d’étudier dans un pays anglo-saxon. Ainsi, lorsque j’interrogeais certains de mes camarades de mon LLM, beaucoup m’ont indiqué qu’ils auraient aimé partir en Angleterre mais que l’augmentation des frais de scolarité en raison du Brexit les ont poussés à se raviser pour le Trinity College de Dublin. 



 

Un autre bon exemple est la nouvelle attractivité offerte au droit irlandais. L’Irlande est devenue le seul État membre ayant un droit de Common Law au sein de l’Union. Or, Le Brexit fait perdre au Royaume-Uni le passeport des décisions de justice garanti par l’Union Européenne. Cela signifie que les décisions de justice rendues par cette juridiction ne seront plus automatiquement exécutoires dans les pays de l’UE. Le droit anglais perd ici un grand avantage, notamment dans le domaine des affaires où les parties évoluant dans le marché européen ont notamment besoin que les sûretés financières sur lesquels elles s’appuient puissent être mises en œuvre rapidement. Dès lors, de nombreux contrats commerciaux et financiers choisissent désormais le droit irlandais pour régir le contrat en raison du bénéfice du passeport européen octroyé aux décisions de justice irlandaises et de la très grande similarité du droit irlandais avec le droit anglais. C’est ce qui a par exemple poussé une importante association professionnelle, l’ISDA (International Swaps and Derivatives Association) de rédiger un nouveau contrat cadre en droit irlandais visant à régir des opérations de produits dérivés.


Il me semble donc clair que le Brexit donne à l’Irlande l’opportunité d’avoir une nouvelle place sur la scène européenne, et notamment celle jusqu’alors occupée par l’Angleterre. Or, c’est à mon sens une belle « revanche » sur un pays qui les a longtemps persécutés



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