Pour en finir avec les préjugés sur la fiscalité (Pierre Delassis, UW School of Law)

Dans cet article, je vais évoquer 3 idées préconçues que nombre d’étudiants en droit continuent de croire ou de véhiculer sur la fiscalité. L’idée de cet article n’est pas nécessairement de vous convaincre de faire de la fiscalité mais au moins de faire changer votre regard sur cette discipline.
Préjugé N°1 : la fiscalité ce n’est que des maths, toujours des maths et encore des maths.
Ma réponse à cela est : oui mais pas seulement. Il est vrai que nombre d’étudiants en droit ne garde pas un souvenir heureux des matières scientifique et en particulier des mathématiques enseignés au lycée. Alors certes la fiscalité est cousine de la comptabilité. Hors la comptabilité est la matière mathématique par excellence : il est alors facile d’accabler la fiscalité de cette réputation de ‘droit mathématique’. Cependant si la fiscalité est associée à la comptabilité, les deux matières sont véritablement distinctes. La comptabilité permet dans son partie fiscale de déterminer mathématiquement l’imposition théorique d’une entité. C’est alors que commence le travail du juriste qui va non seulement vérifier la validité du calcul de l’imposition par rapport la loi. Mais au-delà, le fiscaliste va renseigner son client sur ses options légales afin d’aménager ou réduire son imposition. Enfin comme tout droit, la fiscalité dispose de sa branche procédurale et contentieuse située entre juridiction administrative et judiciaire. Oui la fiscalité est technique donc on utilise les chiffres et les opérations mais c’est aussi de l’analyse et de l’interprétation juridique de texte de loi et traités comme toute autre matière juridique. Enfin il est important de rappeler que les autres domaines du droit n’échappent pas aux mathématiques tel que les spécialités du droit des affaires en général mais aussi le droit des contrats, droits des assurances, droit de la responsabilité etc.
Préjugé N°2 : la fiscalité est très impersonnelle.
Encore une fois la fiscalité souffre de son image de matheuse des matières juridiques ! Croyez-moi depuis que je suis aux États-Unis, j’ai pu observer à quelle point il s’agit en réalité du contraire. En premier lieu, à la différence des autres droits, la fiscalité revient à l’ordre du jour tous les ans. Et bien entendu elle concerne une large partie de la population. Par conséquent M. Tout le monde est plus souvent confronté à la fiscalité qu’au droit pénal (encore heureux mais direz-vous). Par exemple la fiscalité patrimoniale ou la fiscalité des personnes est typiquement une matière où le fiscaliste s’introduit dans l’intimité d’une famille, de ses rapports de forces et de son argent. On peut affirmer que le fiscaliste s’implique très fortement dans la sphère personnelle des clients. Cet aspect est largement méconnu en raison de la tradition d’ultra-confidentialité des fiscalistes en la matière. Ce qui diffère des pénalistes bien plus expansif lorsqu’il s’agit de s’immerger dans la vie privée de leur client et de l’exploiter au prétoire.
Préjugé N°3 : La fiscalité est quand même un peu (beaucoup ?) immorale.
Sans doute la critique la plus courante (la plus médiatique ?) à propos de cette matière du droit. En effet on retient souvent les gros titres des journaux sur l’évasion fiscale de telle entreprise, chef d’entreprise ou star. Il est vrai que l’optimisation fiscale est une pratique décriée. Pour autant il s’agit de voir ‘the big picture’ le disent les anglophones. Nombre de personnes, en réalité la majorité, ayant recours à un conseil fiscal sont des particuliers ou des PME dont le principal souci est juste de se mettre en conformité avec la loi fiscale, cette dernière étant de plus en plus complexe. Concernant les grands groupes, s’ils adoptent une politique fiscale agressive, c’est bien entendu un choix stratégique (critiquable parfois) pour augmenter les profits qui est le but principal de toute société. Mais c’est également la conséquence d’une imposition à très haut taux décidé par le législateur, là aussi critiquable, qui incite les grands groupes à appliquer une stratégie fiscale agressive. Les législateurs en sont bien conscients. Finalement la fiscalité est un sujet sensible mais qui reste quand même juridique c'est-à-dire avec des acte légaux et d’autres qui ne le sont pas. Finalement toute cette polémique repose plus sur l’image médiatique qui ressort de l’usage de ces pratiques par les grands groupes. En juriste, je conclue ici en rappelant que la morale n’est pas le droit (cf. cours de L1 droit) mais qu’il est compréhensible que ces pratiques choques ou fassent réagir.


Pierre  Delassis
Taxation LL.M. candidate, University of Washington School of Law, Seattle (WA), United States of America
Student of the Grande Ecole du Droit, Paris-Sud University, Sceaux, France.



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