Suivre un cours aux Etats-Unis (où l'on comprend qu'il y a plus qu'un océan entre eux et nous)



Bonjour à tous! Rapide présentation, pour ceux qui ne me connaissent pas, je m'appelle Alexandre, étudiant de la Grande École du Droit, et parti en LLM aux États-Unis, à Athens, Georgia. Mes études se concentrent autant que possible sur les sociétés, les contrats, et le commerce en général.

Bien que j'ai été un des derniers à être fixé sur ma destination, j'ai été le premier à faire ma rentrée, puisque j'étais sur place dès fin juillet, et que les cours ont commencés pour moi le 14 août. J'aurai pu donc raconter mon installation, et les détails matériels pour aller m'installer là-bas, mais j'ai peur que ça ne soit pas bien passionnant, et un peu laborieux à énumérer. Cependant, je suis prêt à accompagner tous ceux qui auront envie de traverser l'atlantique dans toutes leurs démarches ! 

J'avais plutôt envie, donc, de vous donner une impression de la vie ici, dans la faculté où je me suis inscrit, à travers un bref aperçu de ce qu'est un cours aux États-Unis. Je sais que certains d'entre vous commencent à peine les cours de faculté en France, mais lisez donc, ça peut vous intéresser quand même, bien que vous n'ayez pas beaucoup de points à comparer.

Le format des cour(t)s

Tout d'abord, une surprise sur l'emploi du temps : tous les cours sont d'une durée de 50 minutes. Quand on est habitué aux amphis de 3h, et aux TD d'une heure et demie, c'est assez surprenant. Alors on se prend à rêver, ce sera peut être facile cette année.
Déchantons bien vite ! Il faut bien savoir qu'il n'y a pas de distinction amphi/TD. Tous les cours sont donnés par des professeurs, dans des classes d'environ 60 personnes (cours des première année obligatoires), à une petite vingtaine (cours de deuxième ou troisième année, qui sont choisis par les élèves, d'où une meilleure répartition). 

La préparation des cours

Donc, vous avez votre emploi du temps, ainsi qu'une liste de lecture à faire avant le premier cours. Après vous être procurés les livres (compter 200$ par livre neuf, ici encore plus qu'en France, les livres de droit sont chers), vous vous penchez sur les lectures. Et comme vous ne savez pas comment se passe les cours, vous lisez en biais, en vous demandant bien comment ça va se passer, et que ça doit pas être si important que ça, le professeur dictera le cours et vous n'aurez qu'à recopier.*
Erreur !
Oh, il y a bien quelques arrêts à lire, mais en bon juriste de droit civil, vous avez sauté les faits de l'arrêt*, et comme c'est un arrêt de la Cour Suprême, vous avez donc passé 90% de l'arrêt, ce qui vous laisse quand même deux bonnes pages à lire, parce que là bas, les juges ont le droit d'être bavards.


Mais pour ce prix là, les manuels sont reliés cuirs, et ça c'est quand même assez classe.

Le déroulement des cours

Voilà le plat de résistance ! Vous arrivez en cours, sortez une feuille, un stylo, et comme à l'habitude au début d'un nouveau cours, vous vous préparez à prendre note de tout ce qui sortira de la bouche du professeur. Et là plusieurs vérités vont vous apparaître :

1°) Vous ne parlez pas la langue

C'est assez malheureux à dire, mais si vous allez dans un endroit avec ne serait-ce qu'un tout petit peut d'accent (au hasard, le sud des États-Unis), vous allez vous rendre compte que même si vous étiez très bon en anglais en cours, vous allez être très vite perdu. En tout cas c'est comme ça que ça s'est passé pour moi : j'ai noirci deux pages de notes au début de mon premier cours de procédure civile, avant de me rendre compte que le professeur parlait des résultats de baseball du week-end.
Cela pourrait aller cependant, il est assez facile de se faire au phrasé du professeur, qui a une voix posée et claire. Vous commencez donc à comprendre quoi on parle, et vous apprêtez à (enfin) écrire sur votre carnet les éléments de cours du jour, lorsque vous rencontrez un nouveau problème...

2°) Le professeur ne fait pas le cours, il l'anime

La méthode Socratique. C'est le pilier de l'enseignement en faculté de droit américaine. Cela veut tout simplement dire que l'on apprend de la discussion entre professeur et élèves. Et pas une discussion comme on peut l'imaginer en TD en France, où lorsque l'on émet un avis, il faut l'appuyer d'arguments tirés de 3 manuels, nuancés par 24 articles de doctrine et 37 arrêts à titres d'exemples; la discussion est bien moins formelle, tout en restant très constructive.
C'est là que vous allez être confrontés à un autre problème : que doit on prendre en note? Je dirais, il y a deux écoles :
- la prolifique : écrivez tout ce que votre professeur et vos camarades disent. Ce sera fastidieux, mais c'est la seule manière de garder une trace sûre de tout ce qui a été dit, d'autant que le professeur ne reprendra pas systématiquement tous les points de cours, et ne répondra pas systématiquement aux questions qu'il a lui même soulevé pendant le cours;
- la minimaliste : ne prenez rien en note, et suivez la discussion. Ahah, facile hein? Ne criez pas victoire trop vite, la contrepartie, c'est que chaque soir, après les cours, il vous faudra reprendre votre livre, et vous refaire la discussion dans votre tête pour retranscrire les grandes lignes sur papier.

Ce n'est pas si terrible me direz vous, et ce serait vrai, si cela s'arrêtait là. Mais voilà.

3°) Quand le professeur interroge la classe, il vous interroge vous aussi

L'élément essentiel de la méthode socratique est que le professeur prend un élève, et l'interroge sur un sujet, de façon extensive (pendant 5 à 20 minutes en général), pas sur des points de connaissance précis, ce n'est pas un test, mais en le faisant réfléchir sur le sujet abordé, en changeant les faits d'un arrêt par exemple, ou en lui faisant confronter deux points de vue divergents sur un point de droit.
Or, vous faites partie de la classe! C'est là qu'il n'y a pas cependant égalité devant le destin. En effet, pour peu que vous ayez un nom de famille un petit peu barbare, vous aurez un délai avant d'être interrogé : le professeur s'entraînera plusieurs semaines avant de vous interroger, pour ne pas écorcher votre nom (je pense notamment à mes camarades Kerveillant et Cabossioras, qui de ce point de vue là devraient bénéficier d'un certain temps avant d'être inquiétés : leurs noms ont trop de sonorités étrangères à l'oreille américaine moyenne pour que le professeur les choisisse en premier).
Dans l'éventualité où vous vous appeliez Paul John, vous risquez d'être appelé en premier. Le professeur vous posera donc une question, et, même si elle ne sera probablement pas si compliqué que ça, vous allez avoir des problèmes, pour la bonne raison que : 

4°) Des pans entiers du droit n'ont pas de sens pour vous

Je vais devoir entrer dans des détails techniques ici, mais j'essaierai d'être bref et clair. Si certaines problématiques juridiques sont communes à tous les pays (formation d'un contrat, responsabilité civile, application de la loi dans le temps), et que le droit ne change que dans le contenu des réponses à ses problématiques, et pas dans la manière de les envisager, certains points sont propres à certains pays. Je vais prendre un exemple très parlant tiré d'un cours de procédure civile :

La question : Pourquoi X aurait intérêt à faire juger son affaire devant un tribunal fédéral, plutôt que dans un tribunal d'état?

Le fait est que cette question ne se pose pas en France, la plupart du temps, une affaire tombe dans la compétence d'une seule juridiction, il n'y a pas spécialement de choix ouvert pour les justiciable (en dehors de quelques cas, je simplifie pour l'exemple, que mes camarades ne me jettent pas de pierre tout de suite, j'ai eu de meilleures notes que vous en procédure civile de toute manière). Ou du moins, il ne s'agit pas d'une décision qui revêt une importance particulière dans la plupart des cas. 
Or, aux États-Unis, c'est un élément majeur de la stratégie de l'avocat.
En effet, le jury sera tiré au sort d'une manière totalement différente, parmi une population différente, et pourra vous être plus ou beaucoup moins favorable. Mais vous n'y auriez jamais pensé en temps normal, car pour vous un jury dans un tribunal civil parait une aberration !

Pour résumer, car j'ai peur de m'être égaré, vous allez donner des réponses auxquelles vous n'auriez jamais pensé, à des questions que vous ne vous seriez jamais posé.

Conclusion

Voilà autant de raisons pour lesquelles les premiers cours sont assez particuliers aux États-Unis. J'espère ne pas vous avoir effrayé pour autant, il faut savoir que l'on si fait très rapidement, et que la méthode socratique permet de mémoriser rapidement une grande quantité d'information, car vous vous souvenez non seulement du résultat, mais aussi de la discussion. Il faut dire que c'était pas n'importe qui non plus Socrate. 
J'essaierai de vous donner d'autres petites vues de l'intérieur de ce que c'est que d'étudier à l'étranger, principalement au regard de l'enseignement, et peut être aussi un peu de la vie sur place. 

Bon courage à tous les étudiants de la GED, où qu'ils soient à ce moment précis !

Alexandre 


*Je tiens à préciser que ces remarques ont pour but de faire sourire, et absolument pas d'encourager ce genre de comportement : aller en amphi, lire ses TD, faire les fiches d'arrêts, sont les seules méthodes efficaces pour s'en sortir*

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