L’affaire Urgenda- La justice pour pallier l’inaction gouvernementale dans la lutte contre le réchauffement climatique ?
Par Philippine Vaganay
Article du 7 mai 2020.
« Empêcher que le monde ne se défasse » ; voilà comment Albert Camus décrivait la tâche incombant à sa génération. Au regard de l’urgence climatique actuelle, les mots de celui qui recevait le Prix Nobel de Littérature en 1957 résonnent un peu plus fort. Empêcher que le monde ne se défasse, peut-être est- ce l’une des raisons qui poussa la Cour Suprême des Pays- Bas, le 19 décembre dernier, à consacrer la responsabilité du gouvernement néerlandais dans la lutte contre le réchauffement climatique.
© Greenpeace
Cette décision historique est l’aboutissement d’une bataille juridique enclenchée en 2015 par la fondation de transition écologique Urgenda. Les plaintifs avaient saisi le tribunal de La Haye, arguant que l’engagement gouvernemental de réduction des émissions de gaz à effet de serre n’était pas suffisant. Celui-ci était de 20% d’ici 2020 par rapport aux chiffres de 1990. Suivant les recommandations des scientifiques, les juges décident, le 24 juin 2015, d’un nouvel objectif à atteindre pour le gouvernement : les émissions de gaz à effet de serres devront être réduites de 25% d’ici 2020. Pour la première fois au monde, un devoir légal pour un gouvernement d’agir contre le réchauffement climatique est ainsi établi par la justice.
En dépit d’une opinion publique largement favorable au jugement rendu, le gouvernement néerlandais décide de faire appel. En 2018, la Cour d’appel de la Haye donne raison au tribunal, dans un contexte de critique grandissante de l’inaction politique face au dérèglement climatique. À l’époque, les émissions n’avaient été réduites que de 15% tandis que deux centrales à charbon avaient été inaugurées sur le territoire en 2015 et 2016. Le 13 septembre 2019, le gouvernement se pourvoi en cassation.
Fondement et impact de la décision
En rejetant le pourvoi, la Cour Suprême confirme la décision de la Cour d’appel. Celle-ci était fondée sur une violation par le gouvernement néerlandais des articles 2 et 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, protégeant respectivement le droit à la vie et le droit au respect de la vie privée et familiale. La Cour fait notamment référence à la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Cette dernière indique que, lorsque qu’un risque réel et immédiat pour la vie et le bien-être de leurs citoyens est avéré, les états doivent prendre les mesures appropriées pour en limiter la réalisation.
Le risque en question c’est bien évidemment les conséquences dramatiques, nombreuses et reconnues, qu’aurait un réchauffement global de la température terrestre supérieur à 1.5°C. Un tel réchauffement entraînerait entre autres une augmentation significative du niveau de la mer ; une réelle menace pour un pays dont un quart du territoire se situe sous le niveau de la mer du Nord.
Autant le gouvernement que la fondation Urgenda s’accorde sur l’existence de ce risque pour la vie et le bien être des néerlandais. La communauté scientifique internationale demeure, par ailleurs, sans appel sur l’unique solution permettant de le contenir : il faut réduire les gaz à effet de serres d’au moins 25% d’ici 2020. D’un point de vue concret, ce jugement impose donc à l’état néerlandais de prendre les mesures nécessaires pour réduire ses émissions à la hauteur de cet objectif. Celui-ci ne sera vraisemblablement pas atteint, mais l’obligation de moyen incombant au gouvernement est bien établie.
La solution au problème était connue, mais tardait à être mise en œuvre. En tentant d’imposer cette mise œuvre, la justice néerlandaise tente ainsi de pallier le manque de volonté politique.
© Urgenda
Une décision qui ouvre la voie
L’affaire Urgenda a inspiré une vague d’assignement en justice des gouvernements pour inaction contre le dérèglement climatique ; en Belgique, au Canada, en Allemagne, en Irlande et en Nouvelle Zélande notamment. En France, quatre organisations ont lancé une procédure de recours en carence fautive contre l’administration publique le 17 décembre 2018. ‘L’affaire du siècle’, qui reproche à l’État français de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour lutter efficacement contre le changement climatique, alors qu’il en avait l’obligation, est actuellement entre les mains du Tribunal administratif de Paris. Reste à savoir si les juges français adopteront une position similaire à leurs homologues néerlandais.
Si l’impact politique du jugement Urgenda est évident, sa réelle force sera, comme pour toutes décisions de justice, à la mesure de sa mise en œuvre. En effet, l’enjeu reste la capacité à contraindre les acteurs majeurs, publics autant que privés, à prendre en compte la problématique environnementale dans chacun de leurs choix. Pour autant, la Cour Suprême des Pays-Bas offre ici un début de solution. Alors oui, on ne refera pas le monde. Mais peut être la justice nous donnera- t- elle les moyens d’empêcher qu’il ne se défasse ?
Commentaires
Enregistrer un commentaire