Saison Berlin - Épisode 18 : Corona-Terrorisme, la nouvelle tendance judiciaire Américaine
Corona-Terrorisme, la Nouvelle Tendance Judiciaire Américaine
Par Paul Pironnet
Article du 18 mai 2020.
© Business Insider Australia
La crise sanitaire du COVID-19 a, comme vous l’avez surement remarqué, poussé les nations à prendre des mesures plus ou moins extrêmes selon les pays : confinement, distanciation sociale, utilisation abusive de zoom, etc.
En France par exemple, si vous mettez en danger, et exposez les autres en ne respectant pas le confinement, c’est 135 € d’amende. Que vous considériez cette sanction comme juste ou injuste, peu importe, estimez-vous juste heureux que la sanction s’arrête à 135€.
Car chez les « Yankees », à Washington D.C., où j’effectue mon LL.M, le Département de la Justice a dégainé le revolver en menaçant de poursuivre juridiquement les cas d'exposition ou d'infection intentionnelle d'autrui au COVID-19 en vertu des lois relatives au terrorisme.
Cela signifie qu’aux États-Unis, si vous vous amusez à tousser, cracher, contaminer, ou menacer de contaminer autrui avec le COVID-19, vous serez potentiellement considéré comme un terroriste et poursuivi comme tel par la justice américaine.
Menaces en l’air ? Qualification juridique nécessaire ou exagérée ? Possibilité réelle d’engager de telles poursuites ? Ce sujet fait donc jaser l’univers juridique américain, et soulève autant de questions qu’il y a d’États américains. Nous allons donc démêler le vrai du faux, et découvrir si la transmission intentionnelle du COVID-19 à autrui, permet d’obtenir un vol direct pour Guantánamo.
Le 24 mars 2020, Jeffrey Rosen, le « Deputy Attorney General » (Procureur General Adjoint), le numéro 2 du Département de la Justice Américaine, a transmis aux procureurs américains et aux agences fédérales chargées de l'application de la loi, un mémorandum informant les fonctionnaires du ministère de la justice qu'ils devraient envisager de poursuivre certains cas "d'exposition ou d'infection intentionnelle d'autrui au COVID-19" en vertu des lois fédérales relatives au terrorisme.
Un mémorandum qui ne sort pas de nulle part, puisque celui-ci faisait suite aux avertissements du FBI selon lesquels des groupes suprémacistes blancs encourageaient les membres qui tombaient malades à transmettre le virus au peuple juif, aux minorités et aux officiers de police - suggérant que les membres pouvaient utiliser des vaporisateurs, laisser des fluides corporels sur les poignées de porte ou même cracher sur les boutons d'ascenseur. Même si le COVID-19 a fortement ralenti l’activité mondiale, la bêtise humaine elle, semble bien se porter.
C'est donc pourquoi les États-Unis se tournent aujourd'hui vers le droit pénal pour punir les individus mal intentionnés qui cherchent à transmettre le virus à d'autres personnes et qui violent les directives en matière de distanciation sociale.
Cependant, plutôt que de se tourner majoritairement vers des infractions « raisonnables » du Code Pénal Américain, à l’image de l’agression (« Assault »), comme l’a utilisé un procureur du Maryland, de nombreux procureurs d'État ont commencé à considérer les affaires liées aux coronavirus comme des affaires de menace terroriste.
En Pennsylvanie, un homme a été accusé d'avoir proféré des menaces terroristes après avoir délibérément toussé tout en souriant et en riant près d'un homme âgé qui portait un masque médical. Cet homme aurait déclaré à la victime qu'il était atteint du COVID-19. Un événement similaire s'est produit dans le New Jersey, où un homme aurait délibérément toussé sur un employé d'une épicerie et aurait dit qu'il était infecté par le coronavirus. Cet homme a également été accusé de menaces terroristes. Dans le Missouri, un homme a été accusé d'avoir proféré des menaces terroristes lorsqu'il a posté une vidéo de lui léchant des paquets dans un Walmart et déclarant : "Qui a peur du coronavirus ?".
Considérant le nombre de cas déjà apparus, il est envisageable que ces cas commencent à survenir dans une plus large mesure. Mais l'utilisation des lois sur le terrorisme comme outil de dissuasion de ce comportement peut s'avérer problématique. En effet, poursuivre ces affaires comme des affaires terroristes entraînerait des peines plus lourdes que d'autres infractions pénales, pour des situations qui relèvent plus de la bêtise humaine que d'une réalité terroriste concrète. Par ailleurs, il est fort probable que les tribunaux et le public considèrent ces poursuites comme une extension inappropriée des lois sur le terrorisme.
Ces incidents soulèvent deux grandes questions. Premièrement, les lois américaines relatives au terrorisme peuvent-elles s'appliquer à de tels faits ? Deuxièmement, même s'il est possible d'utiliser ces lois relatives au terrorisme, les procureurs américains devraient-ils le faire ?
Lois anti-terroristes américaines et transmission intentionnelle du COVID-19 : Ça match ou pas ?
Pour les lecteurs qui ne seraient pas familiers avec le système judiciaire américain, il convient de rappeler que ce dernier s’articule selon deux niveaux : les lois fédérales et les lois des États américains.
N’écrivant pas ces lignes dans le but de vous donner un cours de droit américain, je tâcherai de rester relativement clair et concis, sans rentrer dans tous les détails, vous évitant ainsi une sacrée migraine.
© Austin County New Online
Au Niveau Fédéral
Le statut fédéral anti-terroriste le plus important est le 18 U.S.C § 2332a, qui criminalise l'utilisation d'armes de destruction massive. Ce même statut définit ce terme comme incluant "toute arme impliquant un agent, une toxine ou un vecteur biologique". Ces termes sont à leur tour définis dans l'article 18 U.S.C § 178, comme incluant les virus "capables de causer la mort, une maladie ou tout autre dysfonctionnement biologique chez un être humain". Par conséquent, l'utilisation d'une arme impliquant un virus capable de causer la mort serait un délit fédéral.
Contrairement à de nombreuses lois fédérales sur le terrorisme, la section 2332a n'exige pas que le gouvernement prouve que l'infraction contient un élément transnational ou étranger. Cela signifie qu'une personne infectée qui tousse malicieusement sur quelqu'un d'autre pourrait être accusée même si elle ne le fait pas dans le cadre d'une campagne visant, par exemple, à soutenir l'État islamique. Il n'est pas nécessaire non plus, que l'individu ait eu l'intention spécifique de tuer la victime pour être reconnu coupable d'une violation de l'article 2332a. Une personne reconnue coupable d'une violation de l'article 2332a est passible d'une peine d'emprisonnement de plusieurs années ou à vie ; si l'infraction entraîne la mort, la personne pourrait être condamnée à la peine de mort.
Cependant, pour pouvoir appliquer cet article, les procureurs fédéraux doivent relever un défi, en prouvant que les faits en question aient porté atteinte au commerce interétatique tel que requis par l’article. En effet, l’article 18 U.S.C. 2332a exige que l'infraction, ou les résultats de l'infraction, affectent le commerce interétatique ou étranger. Dans un sens spécifique, une interaction qui expose les gens au coronavirus se produit généralement entre des individus d'un même État ou d'une même localité (à moins que quelqu'un ne tousse au-delà des frontières de l'État). Et comme les gouverneurs ont limité les déplacements non essentiels à l'intérieur des États, et entre les États en conséquence du coronavirus, la capacité des personnes qui désirent propager le virus, à affecter le commerce interétatique peut devenir encore plus limitée, surtout si un tribunal adopte une position restrictive à cet égard.
Le critère « d’atteinte au commerce interétatique » est un critère quasi unique, propre aux États-Unis, qui a été interprété différemment par la jurisprudence américaine selon les types de faits, et selon les époques. Il ne sert à rien, ici, de revenir sur ces évolutions jurisprudentielles. Il convient de retenir que l’article 18 U.S.C. 2332a, est le plus susceptible d’être utilisé par les procureurs fédéraux américains pour poursuivre les personnes cherchant à transmettre intentionnellement le COVID-19 à autrui. Cependant, le succès de ces poursuites sera subordonnée à l’interprétation que feront les tribunaux américains du critère « d’atteinte au commerce interétatique ». Il est aujourd’hui trop tôt pour savoir comment les tribunaux américains se positionneront. Étant donné la gravité de la crise causée par le COVID-19, il est possible que ces tribunaux interprètent le critère largement, afin de faciliter le travail des procureurs fédéraux, ou à l’inverse, interprètent le critère étroitement, afin de limiter l’extension de l’utilisation des lois anti-terroristes.
Au Niveau des États
De nombreux États criminalisent les menaces d'actes terroristes. En général, ces lois s'appliquent lorsqu'un individu menace de commettre un acte de terrorisme et communique cette menace à toute autre personne.
En termes de poursuites, les procureurs des États auront plus de facilité que leurs homologues fédéraux dans la mesure où ils n'auront pas à prouver l'existence d'une atteinte au commerce interétatique. Par conséquent, ces lois peuvent s'appliquer aisément et sont particulièrement utiles pour poursuivre et dissuader les cas d'exposition intentionnelle.
Ce n'est par ailleurs pas une nouveauté pour les États d'utiliser leurs lois anti-terroristes pour poursuivre des individus qui menacent d'infecter d'autres personnes. Il existe un certain nombre d'affaires, dont une en 1993 et une autre aussi récente de 2016, dans lesquelles un État a inculpé un individu pour menace terroriste, car cet individu avait menacé d'infecter une autre personne avec le SIDA.
Contrairement aux affaires relatives au SIDA, les procureurs des États auront plus de facilité à utiliser les lois anti-terroristes dans les cas d'exposition intentionnelle au COVID-19. Le coronavirus est en effet plus infectieux et plus facilement transmissible que le SIDA. Les tribunaux avaient hésité, dans les affaires relatives au SIDA, à déclarer les prévenus coupables de menaces terroristes, car il n'était pas simple en réalité pour ces prévenus, d'infecter autrui avec le SIDA.
La même préoccupation ne devrait pas être présente relativement au coronavirus, car le virus peut être facilement transmis par simple contact, en toussant ou en respirant sur une autre personne, et la présence de sang n'est pas requise. Ces lois anti-terroristes des États se basent aussi souvent sur le fait de savoir si la crainte de la victime de contracter le virus est raisonnable. Cependant, étant donné la situation américaine relativement au COVID-19, le rythme des cas et des décès, la crainte de contracter le virus par la toux ou le contact d'une personne sera probablement jugée raisonnable.
Ainsi, les lois anti-terroristes américaines, qu’elle soient fédérales ou étatiques, sont susceptibles de s’appliquer, avec plus ou moins de difficultés, aux faits d’exposition intentionnelle au COVID-19. Encore une fois, la théorie est toujours bien différente de la pratique, et le fait qu’il est possible d’utiliser de telles lois anti-terroristes, soulève pour les procureurs américains, la question de l’opportunité de mettre en œuvre de telles poursuites.
Utiliser des lois anti-terroristes : bonne ou mauvaise idée ?
© Politico
Cette deuxième problématique est relativement complexe, dans la mesure où celle-ci ne relève pas uniquement de l’application simple et concrète du droit du droit américain, mais s’inscrit aussi dans la politique juridique que le gouvernement américain souhaite développer et mettre en avant dans un cadre de crise sanitaire.
Il est difficile d’affirmer que traiter des affaires d’exposition intentionnelle au COVID-19 comme des affaires de terrorisme, soit une bonne ou une mauvaise idée. Cependant, il est possible de montrer que cette approche n’est pas indispensable et semble disproportionnée.
En effet, les autorités fédérales, comme les états, disposent d'un large éventail de lois pénales d'application générale qui peuvent être appliquées aux actes terroristes : meurtre, tentative de meurtre, etc. Ces lois, dont certaines pourraient également s'appliquer aux cas de transmission intentionnelle de COVID-19, sont souvent assorties de lourdes peines et sont bien établies dans la loi, donc plus facile à appliquer. On peut donc affirmer qu'il n'est pas nécessaire de poursuivre ces transmissions intentionnelles comme des cas de "terrorisme", puisque d’autres lois existent, et qui sont plus facile à appliquer.
Il est difficile d’imaginer que le Département de la Justice américaine n’ait pas pensé à ces alternatives. Il semble donc que le choix de traiter ces transmissions intentionnelles comme actes de terrorisme, relève plus d’une volonté politico-juridique que d’une réelle nécessité juridique.
De plus, la question de l’opportunité de telles poursuites se pose réellement dans la mesure où l’utilisation de lois anti-terroristes implique d’autres facteurs qui relèvent de la pratique. En effet, il serait plus avisé pour les procureurs américains de poursuivre ces individus malintentionnés en vertu de « lois plus légères » et assorties d’amendes, plutôt que des lois anti-terroristes qui ne sont punissables que d'une peine d'emprisonnement.
En effet, poursuivre des individus selon des lois visant à lutter contre le terrorisme, n’aboutirait qu’à des peines de prison, ce qui irait à contre-sens de la politique pénitentiaire actuelle des États-Unis, qui cherche à désengorger les prisons, actuellement en proie à une augmentation de cas de COVID-19. En effet, chercher à emprisonner un individu qui a ou prétend avoir le COVID-19 risque d'exposer fortement les autres détenus au virus.
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